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Un regard de beauté et de bonté sur la vie et tout ce qu'elle nous offre au quotidien.

Un large espace pour faire exister vos rêves

Mercredi 5 septembre 

 

CIMG8417.JPGUn paysage malgache, ocre, bruns, jaunes, rouges, un peu de vert, mais pas trop, en attendant la saison de pluies : ces couleurs dans toutes leurs nuances vous offrent un large espace pour faire exister vos rêves. Il y a une sorte d’uniformité entre les formes et les couleurs, une uniformité qui rassure, qu’on ne peut s’empêcher de désirer, instinctivement. À force d’embrasser le paysage, on finit par en faire partie. Cela nécessite, il est vrai, un certain travail d’imprégnation. Une des nombreuses vallées des Hauts Plateaux emporte mon regard, l’étire jusqu’à la démesure, en même temps qu’il dilate mon cœur. Déjà Madagascar m’a apprivoisée ! Je n’aurai pas résisté longtemps à ses rives poussiéreuses et à sa chaleur morne. Qu’est-ce qui a eu raison de moi ? Un génie capricieux se serait-il réveillé soudain et, comprenant son retard, m’aurait-il accordé en un tour de main ce que j’imaginais acquérir en deux ans ? Pourtant, je n’ai senti aucun déclic. Non, Mada m’a prise comme un amant sûr de lui : le tour était joué bien avant, avant le départ, en amont même de mon désir de partir. Il s’est révélé au moment de la mise en route, à cet instant précis où il a fallu dire pourquoi on part, non pas ce qu’on cherche, c’est trop risqué, trop compliqué, mais, d’une façon détournée, justifier d’une décision afin de ne pas s’en remettre au hasard. Point de hasard de toute façon, mais de la Providence. Un large mot, encore, qui suscite sourires sceptiques ou moues pieuses. Pourtant, aujourd’hui cette Providence a les couleurs de cette terre. Elle me colle aux pieds, s’insinue dans les pans de mes vêtements, pour me dévêtir finalement de toutes mes certitudes et m’habiller de rencontres inespérées, de sourires à faire surgir.

 

CIMG8403.JPGCe matin, pour mon anniversaire, elle m’a offert le témoignage de Sr Elsie, indienne, Franciscaine du Cœur Immaculé de Marie de Blois (ou quelque chose comme ça) qui, par sa foi ardente et sa charité non moins ignée, a réussi à édifier en un an un orphelinat (un Foyer en fait) qui a la capacité d’accueillir 50 fillettes de familles pauvres. Un terrain offert par l’évêché – un évêque est toujours heureux de voir surgir sur son territoire canonique une œuvre pareille qui ne lui coûte pas un rond et lui vaut l’adoration de ses fidèles ainsi que des sœurs bosseuses et affairées comme des fourmis, minuscules, actives, efficaces et dont la foi “à transporter les montagnes” fait grandir la renommée du lieu à défaut de la leur. Mais ce sont les règles du jeu : « c’est le Seigneur qui fait », et nous, bien humblement, on prie, on obéit (ou pas), on se défend des jalousies féminines intra-communautaires et voici l’œuvre de Dieu sur un plateau ! Tout y est : la grande pauvreté initiale (pas un sou en poche) + un désir immense de faire quelque chose pour les fillettes pauvres, selon le charisme initial de la congrégation + la foi sans faille d’une sœur qui “passe un contrat avec le Seigneur” : tu me donnes l’argent et moi je bosse, je ne peux pas m’occuper de tout en même temps, prends ta part et je saurai que c’est toi qui veux cette maison + les bonnes volontés qui se manifestent par la présence de nombreux bénévoles, de dons qui permettent de poser les briques les unes sur les autres, les pauvres aussi… Bref, en un an - un temps record ! – l’ensemble est bâti, les enfants s’installent, les sœurs se réconcilient, l’évêque est bien content et le Bon Dieu pareillement (enfin, on l’imagine !)

Pour ce qui me concerne, une fois de plus, - mais pourquoi le mentionner, est-ce nécessaire ? - c’est Thérèse qui m’accueille à l’entrée : la maison est sous son patronage, forcément… Bon, si jamais je devais douter de la conduite divine envers moi, il faudrait que je trouve de solides arguments… Mais tu as bien raison d’insister, ma sœur Thérèse, car je suis à moi toute seule un peuple à la nuque raide, la preuve, aujourd’hui je ne peux plus tourner la tête, petit torticolis…

 

Jeudi 6 septembre

 

Ce que je voulais décrire, hier, en plus des couleurs du paysage, ce sont les sons, les bruits qui montent de la vallée. Lorsque la vue s’est ajustée, c’est le corps entier qui se propose de participer au spectacle : on devient alors tout regard et toute ouïe. L’ouïe vient en second, pourquoi ? Je ne sais pas. Mais si je reste immobile, si je me laisse bercer par cet horizon si nouveau, alors les cliquetis de la vallée peuvent monter jusqu’à moi et me chanter leur chanson laborieuse. Pas de voitures, aucun vrombissement de moteur, mais des pleurs d’enfants, des cris de femmes, des martèlements cadencés, des pépiements d’oiseaux. Mada symphonic orchestra. Silence.

 

S’il y avait plus d’arbres, j’entendrais aussi le frémissement du vent dans leurs branches, mais à Mada, il n’y a plus d’arbres, ils ont été décimés par les feux de brousse qui appauvrissent la terre de façon irrémédiable. Les oiseaux se contentent d’arbustes, de buissons et, de loin en loin, de bosquets clairsemés. Où vivent-ils, désormais, les oiseaux qui nichaient dans les antiques forêts malgaches ? Ils ont sans doute disparu avec lesdites forêts, chassés non par la hache mais par l’absence de gîte approprié. Lorsqu’on coupe les arbres, on dénude honteusement un paysage. Les vivifiantes montagnes verdoyantes deviennent de minables monts pelés, appauvris, épluchés de toute végétation, comme si un ogre avait pris plaisir à arracher chaque tronc vivant et à l’engloutir goulument. Il ne reste même plus de traces de forêt, les souches mêmes ont été utilisées. D’aucun témoignant qu’il y a 40 ans, on trouvait de l’ombre sur des kilomètres. Aujourd’hui, tout n’est qu’aridité et désolation. Les montagnes attendent désormais que le vent, impatient, violent, pétrisse leurs formes nues, les modèle de ses caresses quotidiennes, les efface à force d’ardeur non protégée… Les pluies participent à cette érosion : la terre devient boue, la boue s’écoule, les terrains glissent, il n’est plus aucune racine pour les retenir. Nous coupons les arbres, nous récoltons la boue, rouge, sanguine, assassine. Le peuple se meurt, mais il ne le sait pas. Nous deviendrons boueux comme cette terre qui finira par nous engloutir, nous aussi ! Homme, tu es poussière et tu retourneras à la poussière : c’est la version pour la saison sèche. Elle paraît légère, presque poétique. Mais nous sommes des Adams, des « glaiseux », des boueux, des terreux, nous sommes d’eau et de poussière, nous sommes pétrissures et souffles, nous sommes destinés à la terre. Si quelque chose en nous doit dépasser cela, transcender ces boues, ignorer ces poussières, ce quelque chose sera forcément chantant, léger mais pas sans pesanteur, ce quelque chose devra déployer en nos morts un petit « je ne sais quoi » d’espérance, un petit, tout petit quelque chose d’innommé mais de créé quand même, qui fasse joie dans un paysage désolé… Mystère de ma foi. 

 

CIMG8413.JPG

 

Aujourd'hui, malgré le temps gris, très bon moral, repliée sur l’intérieur chaud et doux de ma concentration. Lire. Prier. Écouter. Surprendre en moi le mouvement de l’annonce : tu es ici chez toi, tu peux t’y rassembler toute entière et prendre ta place dans tout ce temps qui t’est donné. Je ne sais pas encore imaginer ce qui se passera ensuite, je parle des mois de l’année, des pluies, du soleil, de la chaleur, des moustiques et, plus que cela, de ce mystérieux emploi du temps que nous ne parvenons pas à établir. Tout est à inventer. Je m’invente au fur-et-à-mesure des jours égrenés sans précipitation. Ce qui sera après est une question que je ne cherche pas à résoudre aujourd’hui. Je me suis établie dans le journalier et je tiens à y rester, tel un funambule qui aurait trouvé un équilibre immobile sur son fil. Tout est chemin, rien n’est certain. Joyeuse aventure dans la puissance d’un souffle imperceptible. Être là, me tenir à ces heures heureuses, quand l’esprit est dégagé de toute idée encombrante. L’impression de vivre dans un pur présent. Le souvenir du passé (récent), qui, les premiers jours, rendait pénible mon installation ici, ce souvenir, sans s’estomper, semble désamorcé : il n’a plus cette force qui me serrait la gorge. L’emprise du temps s’est desserrée, je peux aller ma route sans présumer des étapes auxquelles elle me convoque. Mon bagage, il n’est plus sur mon dos (j’ai voyagé vraiment léger !), il est à l’intérieur de moi. Mon bagage, j’en suis consciente, c’est l’ouverture que je voudrai bien accorder à celles et ceux qui croiseront ma route. Défi de la rencontre. Sempiternel retour à l’essentiel.

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B
<br /> Superbe texte à se réciter à voix haute. Peut- être que ce qui te colle aux pieds et depuis longtemps sans doute, mais que la terre malgache te souffle encore plus fort, ce sont les mots à<br /> écrire, à partager. Je lis ton texte à mes proches.Ton entreprise et ton style ouvrent le coeurs et les esprits sceptiques !<br />
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D
<br /> Chère Christelle, c'est avec une joie immense que je lis régulièrement tes beaux écrits de la merveilleuse aventure de charité et de spiritualité que tu effectues. Tes photos sont fort<br /> sympathiques et je dois dire que ton visage si souriant reflète la présence du Christ en toi.<br /> <br /> <br /> Lors de laudes et de vêpres aujourd'hui je t'ai confiée à l'intercession de la Vierge Marie dont nous fêtons la naissance. Je sais que cela sera particulièrement significatif pour toi qui est une<br /> vierge consacrée.<br /> <br /> <br /> Je t'embrasse de tout cœur et reste en union de prière avec toi. David-Marie<br />
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H
<br /> encore merci - j'ai aimé ces textes et aussi les photos prises sous un angle qui me disent que pauvreté et beauté peuvent aller ensemble...<br /> <br /> <br /> il nous arrive à tous de regretter parfois les "petits oignons d'Egypte"  et puis ensuite, de regarder devant vers ce qui s'ouvre... Bien avec toi, h.<br />
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A
<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai eu le plaisir de découvrir ta dernière prose que je trouve magnifique qui donne l'impression que tu as posé le pied dans une une terre d'accueil sous un ciel très ouvert à la spiritualité,<br /> très beau texte, merci. Amitié, Ariane<br />
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K
<br /> <br /> <br /> <br /> Super, je me suis inscrite à la newletters et à tes publications pour ton blog. Tu ne peux imaginer le bonheur lorsque je te lis. Au niveau de l'âme , je me sens en congruence totale avec toi et<br /> pour le reste je voyage....VOYAGE .....VOYAGE.................. surtout, ne change rien, dans mes prières et dans mon coeur tu ES. ♥♥♥ Khrystalle<br />
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