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Un regard de beauté et de bonté sur la vie et tout ce qu'elle nous offre au quotidien.

Retour de mission

Retour de mission

Volontaire de solidarité internationale (VSI) envoyée par l’ONG la DCC (Délégation catholique pour la coopération) pendant deux ans à Madagascar, j’ai travaillé avec une institution religieuse, les Carmélites de Saint-Joseph qui dirigent trois écoles maternelles et primaires sur l’Île.

J’étais chargée d’assurer la formation des enseignants en français et en pédagogie. Mon action se concentrait dans le centre du pays, sur les Hauts Plateaux, de la capitale Antananarivo à la ville de province Fianarantsoa.

Partir comme volontaire de solidarité internationale[1]

C’est une aventure qui se prépare soigneusement. En effet, candidate au départ, je ne suis pas la seule concernée : le partenaire local (une association, une institution, etc. pour moi la communauté des sœurs Carmélites de St-Joseph) et l’Association qui envoie (ici la DCC) ont leur mot à dire. C’est pourquoi il faut bien ficeler son projet personnel en s’appuyant sur sa motivation mais aussi ses expériences, son savoir-faire et surtout ses objectifs. L’expérience montre que partir sans projet concret, simplement pour partir, se révèle bien souvent être un pari risqué : il faut savoir que nous emmenons dans nos bagages nos questions personnelles, professionnelles, etc. non résolues en France ! Si certaines de ces questions peuvent trouver réponse au contact d’une culture différente et au prix d’un effort humain et intellectuel non négligeable, d’autres sont au contraire exacerbées et peuvent provoquer des situations de grande angoisse qu’il est difficile de gérer dans l’éloignement. C’est pourquoi l’Association porteuse propose une solide formation au départ, étalée sur plusieurs mois, qui permet de bien discerner les enjeux personnels et de donner des clés culturelles qui permettront un dialogue fructueux avec le partenaire local. Quant à ce dernier, il attend avec confiance sur le terrain quelqu’un qui pourra s’adapter et qui posera un regard bienveillant sur son pays et la tâche à accomplir.

Le volontariat est donc constitué d’un ensemble de paramètres qui en font souvent un temps d’épanouissement et de découverte de soi et des ses capacités. L’échec existe aussi. S’il est accompagné et analysé, il peut progressivement se transformer en point positif dans le cursus d’un candidat.

[1] Note sur le volontariat de solidarité internationale

Le volontariat de solidarité internationale est régi par la loi du 23 février 2005 qui stipule que :

  • toute association ayant pour objet des actions de solidarité internationale et agréée par le ministère des affaires étrangères peut proposer un contrat à des personnes majeures de tous âges.
  • la mission ne peut s’accomplir dans un pays de l’espace européen
  • la durée de la mission est équivalente à un an minimum et deux ans maximum.
  • Le contrat peut être renouvelé mais le volontaire ne peut pas cumuler + de 6 ans de mission.
  • une formation au départ et un accompagnement au retour sont obligatoires
  • les compétences acquises durant la mission peuvent faire l’objet d’une VAE
  • si le volontaire a démissionné pour partir, il a droit aux allocations chômage à son retour (cependant pas au-delà de 3 ans de mission)
  • l’association affilie le volontaire à un régime de sécurité sociale
  • le volontaire bénéficie d’une complémentaire, d’une assurance rapatriement
  • une indemnité est versée au volontaire en fonction de sa mission et du pays d’accueil
Rencontre annuelle de tous les volontaires DCC de Madagascar

Rencontre annuelle de tous les volontaires DCC de Madagascar

Pour ma part, après un parcours de formatrice en français pour les étrangers résidant en France puis directrice d’un service de communication au sein d’un diocèse, mon objectif était multiple et se déclinait sur plusieurs plans. En partant, je souhaitais

  • d’une part de renouer avec la vie à l’étranger (j’avais déjà vécu plusieurs années en Europe centrale et en Russie), et assumer ce que cela suppose comme adaptation à une nouvelle culture,
  • de me dépayser totalement tout en m’impliquant dans un projet de développement dans un pays du sud
  • d’accomplir une mission qui soit en accord avec mes convictions personnelles, humanistes et spirituelles, dans un esprit de respect et de service, dans une relation avec le partenaire qui ne soit pas d’abord basée sur l’apport matériel
  • d’opérer une rupture avec mon activité professionnelle pour m’enrichir d’un contact nouveau qui me permettrait de renouveler mon regard sur mon parcours et d’oser, à mon retour, prospecter de nouvelles voies de professionnalisation.

Après ces deux ans de vie à Madagascar, je peux dire avec joie que le pari est réussi et l’essai transformé !

Alors concrètement…

Concrètement, pendant deux ans, j’ai animé tour à tour, dans chaque école, des sessions mensuelles de français et de pédagogie qui réunissaient tous les professeurs, ce qui représentait une trentaine de personnes. Chaque session s’étalait sur plusieurs jours, avec une partie de français et une autre de pédagogie « pratique » avec des ateliers divers : Comment animer un temps en bibliothèque avec les enfants ? Comment planifier l’année scolaire et établir un calendrier avec des projets avec les parents, les profs et les élèves ? Comment monter un projet pédagogique ? Comment innover dans les propositions pédagogiques ? Comment se constituer du nouveau matériel pédagogique à partir de ce qui est accessible sur place ? Etc.

En parallèle, j’ai créé des bibliothèques de livres pour enfants et jeunes en français dans chaque école afin que les enfants et les enseignants puissent avoir accès aux livres, denrée rare à Madagascar. Pour cela, j’ai lancé un appel aux dons en 2012, auquel de nombreuses personnes ont généreusement répondu. Il faut savoir que le salaire moyen d’un prof est de 40 €/moi, qu’un livre d’occasion coûte 2€ et qu’on n’en trouve qu’à la capitale. Les écoles privées ou publiques n’ont aucun budget pour la pédagogie, ils parviennent tout juste à rémunérer les enseignants.

atelier bibliothèque et session de formation pour les profs.atelier bibliothèque et session de formation pour les profs.

atelier bibliothèque et session de formation pour les profs.

Je suis également intervenue comme formatrice dans d’autres cadres : j’ai assuré la remise à niveau en français d’enseignants de brousse (plus de 60 personnes, toujours en écoles primaires) dans des conditions assez épiques (école de brousse sans eau ni électricité) à raison d’un week-end/trimestre pendant un an.

Enfin, on m’a invitée à donner des cours de pédagogie au séminaire d’Antsirabe, soit 30h de formation pour 68 jeunes de 20 à 30 ans. Ce fut également une très belle expérience.

Pour la vie quotidienne, je logeais chez les sœurs, tout en préservant mon indépendance. Une voiture mise à ma disposition m’a permis de circuler sur mes lieux de mission et c’est une chance extraordinaire, dans un pays où les déplacements sont fastidieux et onéreux à cause de l’état des routes et des véhicules.

Les frais liés à ma mission étaient pris en charge par la congrégation en France : le billet d’avion, mon indemnité de 150€/mois, les frais de déplacement en voiture, la nourriture et le logement.

Une lente et nécessaire inculturation

Le plaisir de la découverte est souvent associé dans un premier temps à un état de déstabilisation, voire d’angoisse devant des situations qu’on ne maîtrise pas. De fait, ma rencontre avec le « monde malgache » n’a pas été aisée. C’est essentiellement dans le domaine de la relation et de la communication, que les surprises (pour ne pas parler de malentendus) ont été les plus fortes. La langue, que je n’ai malheureusement pas apprise, constitue le premier « barrage » à la relation. Les Malgaches, dans l’ensemble, ne parlent pas très bien français, bien que notre langue soit utilisée officiellement dans les études supérieures et l’administration. Ce paradoxe est vécu en permanence par les Malgaches qui naviguent au quotidien sur deux registres, entre leur culture « propre », océanique, et un mode de pensée qui leur reste étranger puisque véhiculé par une langue qu’ils ne maîtrisent pas. Cela ne peut que créer de la confusion entre les communicants. L’inculturation nécessite donc l’apprentissage de la langue du pays.

Afin d’entrer plus profondément dans leur mentalité et de comprendre les innombrables coutumes qui régissent la vie des Malgaches, et malgré la barrière de la langue, j’ai trouvé des interlocuteurs que j’ai pu questionner. Mais bien souvent, les réponses elliptiques m’ont laissée sur ma faim. C’est donc aussi par l’étude, la recherche intellectuelle, le recoupement des témoignages et le vécu avec les Malgaches que je suis parvenue à synthétiser un petit corpus de « clés » culturelles relatives par exemple à la notion du temps, à la place des morts dans la société, au statut des anciens et des chefs dans tous les domaines (fonctionnaires, religieux, etc.), clés qui m’ont permis d’ouvrir, en partie seulement, la porte de ce monde « étrange » car « étranger » et de l’accepter tel quel.

Sur la route… à bord de la karenzy, LA voiture malgache !Sur la route… à bord de la karenzy, LA voiture malgache !

Sur la route… à bord de la karenzy, LA voiture malgache !

Après deux ans de mission, je peux affirmer que je suis restée jusqu’au bout dans cet état de surprise, découvrant toujours de nouvelles pratiques coutumières, m’attendant toujours à être désarçonnée par le comportement de mes interlocuteurs, interlocuteurs pour qui le temps ne s’écoule pas de la même façon, pour qui un rendez-vous n’est pas une promesse de présence, pour qui la rigueur dans le travail (manuel et intellectuel) n’est pas le premier des principes, pour qui la vie est bien souvent affaire de survie… Car le peuple malgache vit à 92% sous le seuil de pauvreté (soit moins de 1,25 €/jour/personne).

Dans la vie au quotidien, et après quelques efforts, j’ai finalement su m’accommoder du rythme « mora mora » (tout doucement), je me suis accordée aux façons d’entrer en relation, de dire ou ne pas dire telle ou telle chose, de faire attention aux croyances et de ne pas heurter mes interlocuteurs en remettant systématiquement tout en cause, etc. C’est d’abord notre attitude d’accueil et de bienveillance qui fait le succès d’une mission, avant même la réalisation du travail qu’on nous a confié. C’est l’à-priori de respect dans la relation qui permet de créer des liens d’amitié, bien que nous soyons souvent interpellés sur des manières de faire ou de penser qui sont très différentes des nôtres.

De plus, Madagascar, c’est aussi un pays magnifique où les paysages, aussi bien sur les côtes que sur les Hauts Plateaux, sont à couper le souffle. C’est un pays jeune où 60% de la population a moins de 18 ans. J’ai pris l’habitude de voir surgir des gamins partout, en ville, et en brousse, de les entendre rire, de les voir jouer avec deux bouts de bois, pieds nus sur les pistes, gardant des zébus, allant puiser l’eau, faisant des kilomètres pieds nus chaque jour pour venir à l’école. Quel contraste lorsqu’on revient en France où, même les enfants paraissent désanchantés… quelle tristesse pour nous !

Madagascar est un pays où finalement tout est possible puisque rien n’est jamais sûr. C’est un lieu où l’on vit au jour le jour, dans l’espoir que tout ira mieux demain. J’aurai donc appris à revoir l’ordre de mes priorités matérielles et spirituelles ! J’aurai appris à vivre autrement avec moins de choses, moins encombrée, plus libre de penser, de m’interroger, de rencontrer. C’est finalement une démarche d’intériorité que j’ai effectuée, une grande plongée en moi-même par le biais de la découverte d’un peuple totalement étranger. C’est une grâce immense que de pouvoir se redécouvrir par le détour du regard des autres. Aujourd’hui, à la veille de mon départ, je me sens comme dans la peau des Rois Mages qui, venus adorer un enfant en suivant « leur » étoile (qui ne les a pas trahis !), sont repartis par un autre chemin… C’est par cet autre chemin que j’ai quitté ce pays, qui reste désormais mien.

Je me suis nourrie de la rencontre, de la beauté des paysages, de l’hospitalité coutumière et sincère des Malgaches, de leur spiritualité si réaliste qui interroge nos habitudes de consommation et de gâchis immense, de leur pragmatisme et de leur optimisme qui vient à bout de toutes nos résistances et surtout de leur bonne humeur et de leur humour à toute épreuve, manifestés dans leur sourire inaltérable, alors que, dans la même situation, nous serions depuis longtemps sous antidépresseurs... Non, décidément, je ne suis plus la même qu’en partant…

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E
Merci pour ce beau journal de ta mission ! Quelle joie pour tes proches de te retrouver !<br /> On aurait pu se croiser à la PQV, en ce début de semaine... Bon retour à toi et au plaisir de papoter un de ces jours !!!! Gros gros bisous !
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L
Superbe! Et bon courage pour le retour!
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G
Félicitation !
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D
Merci Christelle pour ce beau témoignage,<br /> et bon retour ici pour d'autres aventures, pour nous faire réagir aussi.. à bientôt, fraternellement, h.
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