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Un regard de beauté et de bonté sur la vie et tout ce qu'elle nous offre au quotidien.

Conte à ras de terre : Recyclage

Conte à ras de terre : Recyclage

Dédicace : aux naufragés du radeau de la Méduse

(Ça n’a rien à voir avec Madagascar)

 

Il y a des jours comme ça : vous vous promenez paisiblement sur les rivages de votre mer intérieure, laquelle est claire, transparente, tiède à point. Vous vous apprêtez à prendre un bon petit bain de mer, à la fois relaxant et vivifiant, histoire de vous recentrer, sur vous-même, évidemment. Vous avez pris soin depuis longtemps d’aménager soigneusement le bord de plage, sable fin, parasols, dessertes garnies de cocktails à thème, voisins de chaise longue affables (triés sur le volet), draps de bain immenses et douillets, divertissements sains et sereins, à la hauteur de vos attentes. Et voilà que, alors que vous venez à peine de tremper vos orteils dans le bain prometteur, sans aucun coup de semonce, le vent s’énerve, devient tempête, la mer se déchaine et la houle vous soulève. Tout ça d’un seul coup d’un seul ! Vous n’avez pas le temps de vous ressaisir, tout est déjà sens-dessus-dessous. Ça arrive. C’est déjà arrivé. Ça arrivera encore. Vous n’êtes pas météorologue, vous n’aviez pas écouté les infos depuis belle lurette et vous n’étiez donc pas en mesure de prévoir ce gros grain qui gâche aujourd’hui votre moment de détente.

 

Banal

 

Contrairement à ce qu’il serait raisonnable de faire – se mettre à l’abri et attendre que ça passe – vous décidez de continuer votre « flânerie », qui prend alors l’allure d’un tour de force insoupçonné. Vous voilà sur la plage, environnée de souffles contradictoires qui vous emmêlent les cheveux et les pédales. Avancer de dix mètres vous demande tant d’énergie que vous finissez par faire du sur-place, contrainte de vous tourner vers cet océan furieux et de regarder bien en face ce qui vient vers vous. Ballotés par les flots, emportés par les vagues déferlantes, toutes sortes d’objets hétéroclites monopolisent alors votre attention. Des souvenirs d’enfance affluent de façon désordonnée. Des paroles d’adultes couvrent la voix des flots. Des images polaroid, couleurs fanées, tapissent la surface mouvante et incertaine des eaux tumultueuses. Des gestes, des faits, des événements que vous croyiez morts revivent soudain sous vos yeux médusés. Vous êtes sur le rivage, mais vous avez le mal de mer, une soudaine envie de vomir. Les souvenirs se concrétisent, détritus du passé, ils tentent de refleurir en vous en cherchant une seconde jeunesse dans les interstices de votre cœur, là où vous n’avez pas pensé calfeutrer les ouvertures, trop minimes, improbables, parfois ignorées de vous.

 

Moins banal

 

Le vent augmente, la tempête gonfle et vous sentez bien que ces eaux si calmes un instant auparavant aimeraient bien vous engloutir et nourrir ainsi leur appétit féroce. Elles ont d’ailleurs changé de couleur, elles sont devenues sombres et vous promettent d’obscures rencontres. Vous n’avez pas de vêtement de protection ni aucune bouée. Le vent est prêt à vous emporter dans son élan ravageur, ravi de vous expédier aux cieux de votre intérieur, cet intérieur dont vous ne vous doutiez pas qu’il était si vaste. Invitation tapageuse à découvrir en vous-même d’autres rivages qui vous sont totalement inconnus.

 

Vous traversez la tempête. Ne me demandez pas comment. Chacune a sa recette. Il faut généralement prendre la main de quelqu’un. Quand je dis prendre la main, c’est prendre d’assaut les quelques instants qu’un guide de haute mer vous accordera : temps précieux, minutes salvatrices où l’accueil amical vous évitera le naufrage annoncé. Donc, cette tempête, vous la traversez et, quand vous retombez sur vos pieds, sur votre rivage de nouveau devenu calme, vous constatez sans étonnement le changement de paysage. Un peu plus « sauvage ». Plus de fauteuils bien alignés ni de boissons rafraichissantes. Le confort s’est envolé, vous êtes appelés à une vie moins factice, peut-être plus rustique, sûrement plus authentique. Pour dire vrai, il faut remettre ces rives en ordre. On ne peut pas vivre dans ce bordel. Là, vous devez faire preuve d’imagination et d’ingénuité. Que faire de tout cela qui vient de loin et peuple la plage de votre mer intérieure ? Comme après le tsunami, plastiques, arbres, tôles, tout ce qui peut nager est venu vers vous, à votre rencontre, cadeau de la mer, crachas de l’océan.

 

Réflexion faite

 

Réflexion faite, vous constatez que vous vous trouvez devant un matériau unique, qui vous permettra sans doute de remodeler une plage originale, qui sera vraiment la vôtre et pas celle du voisin. Vous vous attelez à la tâche de reconstruction sans architecte car vous vous sentez un talent nouveau pour affronter le défi d’une telle aventure, d’une aventure d’une telle envergure. Et vous faites bien. Votre guide vous a lâché la main, et grâce à cela, vous avez fait, mine de rien, vos premiers pas d’adulte. Ils s’impriment profondément dans le sable, à l’endroit même où le chemin s’efface, signe que tout est à inventer.

 

Recyclage mouvant

 

Bouteilles à la mer. Radeaux de fortune. Objets non identifiés de toute sorte, dérivant à l’infini des courants, selon les caprices des vents. Tout cela afflue et reflue au rythme des marées. Tout cela vous est donné. Tout s’ordonne au fil du temps, au fur et à mesure des découvertes. Vous construisez non pas un palais, ni un château fort, encore moins une forteresse imprenable : de tout cela, vous n’en avez plus besoin. Vous élevez une tente, celle de la Rencontre. Vous bâtissez un mémorial éphémère sur la dune que chaque jour déplace un peu plus. Vous avancez au rythme de cette dune, devenue demeure mouvante, habitant le campement de fortune du quotidien sans assurance-vie. Vous décortiquez, analysez, agencez les détritus. Vous les examinez, les malaxez, les retournez. Vous les décapez, les repeignez, les cisaillez. Vous les assemblez, les emboitez, les clouez. Les détritus ainsi agencés détruisent et tuent le vain, le m’as-tu-vu, le qu’en-dira-t-on. Un petit vent de liberté emplit l’espace de cette tente bizarre, faite de choses amoncelées, bric-à-brac fabuleux d’un monde recomposé, défiant les canons de la beauté mondaine pour se concentrer en cet espace illimité d’une tente même pas plantée sur le dos d’une dune en transhumance.

 

madagascar_dune.jpgC’est déjà la fin de cette histoire interminable. Car la dune continue d’avancer, et, à ce jour, vous ne savez toujours pas comment l’arrêter. Loin de recouvrir de poussière les espaces naturels sacralisés par les écolos, elle dévoile les vôtres, vos espaces protégés, vos espaces vierges, elle les consacre de sa danse de dune altière, elle rend ferme la terre sous vos pas et vous invite à sommeiller dans cette tente passagère que rien, non plus, ne pourra immobiliser. Vie de mouvance imperceptible, vie de grand large sans grand écart, vous n’avez plus besoin d’aucune plage car tout l’espace disponible vous est offert, non seulement ce rivage, mais l’océan lui-même et, par-dessus lui, ce ciel imberbe que nul barbe nuageuse ne vient voiler. Et vous vous contentez de cette tente itinérante, lieu de votre renaissance, qui vous libère de vos prêts-à-porter intellectuels et des effets de mode. Tente de la Rencontre, c’est avec vous que vous aviez rendez-vous.

 

Xénia, Antananarivo, le 4 février 2013 

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B
<br /> Il y a bientôt 3 ans, quand j'écoutais les volontaires DCC dire qu'ils partaient aussi pour se découvrir eux-mêmes, cela me faisait doucement (sou)rire... je me connaissais bien assez et c'était<br /> plus pour découvrir les autres que je partais !<br /> <br /> <br /> Les 4 petits mois au Niger auront été bien suffiisant pour commencer ce voyage mais trop suffisant pour l'achever, juste ce qu'il fallait pour donner le goût de continuer<br /> <br /> <br /> Et je suis persuadée, aujourd'hui, que le plus beau voyage c'est de partir à la découverte de soi-même ... même si cela demande de traverser quelques tempêtes !<br /> <br /> <br /> Bon rendez-vous !<br />
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J
<br /> Un joli conte ! De l'utilité de savoir raconter - se raconter, nous raconter. Le conte prend en charge ce que nous sommes, ce qui nous habite, ce qui nous arrive, ce qui nous dépasse. Et<br /> puisqu'il est parlé ici de la tente de la rencontre, ce n'est pas pour rien qu'un fameux Grand Récit se développe d'abord en cinq livres, puis en 24 et plus : peut-être n'y a-t-il pas de<br /> véritable rencontre en dehors de raconter et d'écouter raconter ?<br /> <br /> <br /> Je pense à une visiteuse à Madagascar qui s'assierait sous un arbre pour raconter. Et qui entrerait une maison et dans l'autre pour entendre raconter.<br /> <br /> <br /> Peut-être que dans un siècle on raconterait encore cette rencontre...<br /> <br /> <br /> JM<br />
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